Association Guy Lévis Mano

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Des hommes et des poètes

On s’évertue à définir la poésie. On sacre grand poète un habile versificateur. Le tambour-major de cet habile versificateur définit la poésie, comme un fluide, qui unit l’âme du poète à l’âme du lecteur. C’est peut-être bien. Mais il s’agit de définir le fluide maintenant. On n’a pas fait un pas. On dit : ce n’est pas de la poésie. C’est de la poésie.

Je préfère appeler une page écrite MINUTE. On la reçoit, ou on ne la reçoit pas. Mais on ne peut pas dire : c’est une minute, ce n’est pas une minute. Quoiqu’en dise M. Paul Valéry, c’est encore les phrases que nous ne contrôlons pas qui nous fournissent, les plus grandes trouvailles. Une phrase nous chante, s’échappe de nous, comme un oiseau dans un parc désert s’échapperait d’un arbre. Une autre phrase nous chante. On nous a appris qu’elles viennent, ces phrases, du subconscient. Il y a entre elles certainement, une logique tenue, subtile, qui fait la nique à celle solide de notre esprit. Je n’aime pas la logique, et je jette volontiers sur le papier ces phrases qui me viennent d’un territoire où je ne fais pas la pluie et le beau temps. Il y a la poésie de la foule, du plus loin, de l’action. Damia dans la salle de l’Européen, jetant des câbles à des voyous pour les attirer vers des aventures qui sont de vastes blagues, et de larges sensations momentanées.
J’ai dit, il y a longtemps, que quand je pensais à la poésie, je ne pouvais voir que deux lèvres fervemment posées sur le cœur de la vie... Mais il est certain qu’on dira que ce n’est pas cela du tout...
La poésie, ceux qui ne s’en soucient pas, la contiennent. Je n’aime pas les poètes. Ils sont hommes de lettres avant d’être hommes tout court. Avant tout on devrait avoir la bouche pleine de terre. Aimer à s’insinuer dans ce long corps mouvementé, chaud, imprévu, qu’est la rue. Aimer surtout cela. Mais les poètes ont la bouche pleine de littérature. Et ils la prennent au sérieux. Il y a des tables où l’on polit des phrases, où l’on fait de la belle poésie. Seuphor conseille au poète de porter la cravate de tout le monde. Je cherche avant tout un homme. Si cet homme fait de la poésie en vivant, tant mieux. Mais je n’aime pas voir toujours un poète me masquant l’homme... Je préfère ma vie à ma poésie. D’ailleurs, je ne sais pas ce que c’est que la poésie.

« Des hommes et des poètes », Guy Lévis Mano, in Directions IV, décembre 1932.